La GAM

Image

Débat: un an après la signature de l’« Accord Schwartz », le bilan du SNEP, de la GAM et de l’ESML

Le protocole d’accord « Pour un développement de la musique en ligne », issue de la mission de médiation confiée par le ministère de la Culture et de la Communication à Marc Schwartz le 20/05/2015, a été signé le 02/10/2015. Un an après, Suzanne Combo, déléguée générale de la GAM, Guillaume Leblanc, directeur général du SNEP, et Ludovic Pouilly, président de l’ESML, dressent le bilan, pour News Tank, de la mise en œuvre des engagements inscrits dans ce protocole d’accord.

« Je dirais à nouveau à quel point la signature de ce protocole d’accord était un événement historique pour le secteur de la musique, un vrai pas en avant pour une filière unie. (…) Mais la mise en œuvre du protocole d’accord est, à date, très décevante. Un an après, nous avons travaillé sur tous les engagements au travers de groupes de travail et cela n’avance pas, ou difficilement », déclare Suzanne Combo.

« Sur le soutien à l’emploi dans la filière, un fonds a été créé, notamment abondé par l’État, à hauteur de 1 M€, ce qui n’était pas forcément gagné au départ lorsque nous travaillions sur l’accord. Sur la diversité culturelle dans les médias, l’accord abordait le sujet des quotas radios, et sur la structuration de la filière, il est question de l’observatoire de l’économie de la musique. Des choses se sont mises en place, du chemin a été parcouru, même si tout n’a pas pu se faire en un jour. Il reste du travail à accomplir dans de nombreux domaines. Néanmoins, la dynamique est là, avec des périodes où l’on constate une accélération, et d’autres où la situation est plus compliquée », indique Guillaume Leblanc.

« Cet accord est important dans la mesure où il reconduit les “13 engagements pour la musique en ligne”, qui avaient été signés à l’issue de la “mission Hoog”. (…) Mais l’ESML, pour être honnête, n’attendait pas beaucoup plus de cet accord, avant tout centré sur la relation producteur-artiste. Nous étions davantage attentifs au vote de la loi LCAP, intimement liée à cet accord, qui prévoit la nomination d’un médiateur de la musique, lequel doit se pencher sur l’écriture d’un code des usages, que nous accueillons favorablement », explique Ludovic Pouilly.

Un an après la signature de ce protocole d’accord, jugez-vous que la mission confiée à Marc Schwartz a été bénéfique pour vos métiers et les relations entre les différents acteurs du secteur ? Les engagements prévus dans le document entrent-ils en application suffisamment vite, selon vous ?

Suzanne Combo : Je dirais à nouveau à quel point la signature de ce protocole d’accord était un événement historique pour le secteur de la musique. C’était un vrai pas en avant pour une filière unie. Et pour la GAM, un artiste heureux, c’est une filière qui fonctionne. Certes, la signature est historique, mais la mise en œuvre du protocole d’accord est, à date, très décevante. Un an après, nous avons travaillé sur tous les engagements au travers de groupes de travail et cela n’avance pas, ou difficilement.

Nous étions par exemple récemment réunis au sein du groupe de travail concernant la transparence sur les redditions de compte, avec les responsables des services royautés de chaque major et les DAF des labels indépendants. Les seuls à avoir établi un document et formulé des propositions pour améliorer la compréhension des relevés de royautés, c’est la GAM. Les majors n’ont pas été capables de produire un simple fichier Excel. On ne comprend pas bien pourquoi, au bout de cinq réunions sur le sujet depuis la signature de « l’accord Schwartz », de tels problèmes subsistent, avec toujours les mêmes arguments : « problème technique » et « système de reporting international ». Ce groupe de travail, que l’on pensait pouvoir être conclusif au bout d’un an, ne l’est pas. Et l’étude sur le partage des rémunérations entre artistes et producteurs n’avance pas non plus…

Guillaume Leblanc : De mon côté, j’aurais tendance à voir le verre à moitié plein plutôt qu’à moitié vide. Certes, « l’accord Schwartz » se concentre beaucoup sur les relations entre artistes et producteurs de musique, mais c’est un accord avant tout global, un accord de filière. On peut même signaler que deux signataires nous ont rejoints en cours de route, début 2016 : la CSDEM et CEMF.

Ludovic Pouilly : C’est important en effet, mais qu’il s’agisse de la CSDEM ou même de la Sacem, l’impact de l’accord à leur endroit est très faible. Pas d’engagement spécifique de leur part, mais l’accord leur reste néanmoins opposable.

G. L. : Tout à fait d’accord, mais il n’en reste pas moins que ce qui fait la force de cet accord c’est qu’il englobe toute la filière, Suzanne le rappelait en préambule. C’est une négociation qui a été dure, un peu tendue parfois, et nous avons signé à la dernière minute. Mais, après des années de défiance, dans le nouveau paradigme induit par l’arrivée du streaming, cet accord a permis de retisser des liens de confiance. Lorsqu’on regarde le bilan, on constate que nous avons tenu, y compris avec les partenaires sociaux, une vingtaine de réunions et trois comités de pilotage. Fleur Pellerin soulignait le caractère historique de cet accord. D’ailleurs, des non-signataires se retrouvent aujourd’hui inclus dans les groupes de travail !

S. C. : Mais la négociation entre partenaires sociaux ne concerne qu’un seul des engagements de « l’accord Schwartz ».

G. L. : Sur les relations producteurs-artistes, bien évidemment, il reste du travail à fournir. Sur les equity, deux des trois majors se sont clairement positionnées en indiquant qu’elles partageraient les éventuelles plus-values, effectuées sur la revente de leur participation dans les services de streaming, avec les artistes. Ces déclarations sont à mettre au crédit de l’accord.

Sur la compréhension des relevés de royautés, je suis très surpris du revirement de Suzanne, qui affirmait il y a encore quelques jours être satisfaite de notre groupe de travail, à l’occasion d’une interview donnée à l’IRMA. Les choses avancent dans le bon sens. Les majors, dont parlait Suzanne, ont produit un certain nombre de documents.

S. C. : Aucun !

G. L. : C’est faux ! Nous avons produit des glossaires, transmis des relevés anonymisés et certains labels n’ont heureusement pas attendu un groupe de travail pour développer des portails artistes.

Sur le soutien à l’emploi dans la filière, un fonds a été créé, notamment abondé par l’État, à hauteur de 1 M€, ce qui n’était pas forcément gagné au départ lorsque nous travaillions sur l’accord. Sur la diversité culturelle dans les médias, l’accord abordait la question des quotas radios, et sur la structuration de la filière, il est question de l’observatoire. Des choses se sont mises en place, du chemin a été parcouru, même si tout n’a pas pu se faire en un jour. Il reste du travail à accomplir dans de nombreux domaines. Néanmoins, la dynamique est là, avec des périodes où l’on constate une accélération, et d’autres où la situation est plus compliquée. Enfin, le fait que le Premier ministre reçoive une partie des signataires est un signe de confiance, qui montre que l’on a eu raison de signer ce document.

L. P. : Le bilan que je tire de cette première année est à mi-chemin entre les positions de Guillaume et de Suzanne. Cet accord est important dans la mesure où il reconduit les « 13 engagements pour la musique en ligne », qui avaient été signés à l’issue de la « mission Hoog » en janvier 2011 et qui concernaient les relations producteurs-services de musiques en ligne. Ces 13 engagements avaient produit un effet positif dans leur premier temps d’application, mais je dois bien reconnaître qu’au travers de « l’accord Schwartz », on n’a pas assisté à des changements ou évolutions significatives.

Nous, éditeurs de services de musique en ligne, aurions souhaité aller beaucoup plus loin. Nous avions formulé plusieurs propositions, notamment pour favoriser l’essor des jeunes plateformes, avec un système de « licence blanche », permettant aux jeunes services de pouvoir obtenir les catalogues des maisons de disques à moindre coût pour pouvoir se développer pendant un ou deux ans.

Mais l’ESML, pour être honnête, n’attendait pas beaucoup plus de cet accord, avant tout centré sur la relation producteur-artiste. Nous étions davantage attentifs au vote de la loi LCAP, intimement liée à cet accord, qui prévoit la nomination d’un médiateur de la musique, lequel doit se pencher sur l’écriture d’un code des usages, que nous accueillons favorablement. Les 13 engagements sont un socle pour le code des usages, qui aura un aspect plus contraignant.

G. L. : Si l’on dépasse le contenu de l’engagement n° 4, dont Ludovic citait le contenu, on en arrive à la mise en place de l’Observatoire, dont l’ESML reconnaissait l’intérêt lors de discussions tenues en comité de pilotage, en ce qu’il permettrait d’évaluer la relation entre les ayants-droit et les services de musique en ligne.

Parmi les engagements que j’ai oublié de citer, celui concernant la correction du transfert de valeur me semble assez essentiel. Là aussi, difficile de nier le travail mené par nos ministres de la Culture, Fleur Pellerin et Audrey Azoulay, et plus généralement par les politiques de droite et de gauche. Le sujet est aujourd’hui identifié au sein de la Commission européenne, et figure dans son package concernant la réforme du droit d’auteur.

L. P. : L’Observatoire est en effet un outil important. Mais force est de constater que l’étude sur le partage de la valeur ne remonte pas jusqu’aux services de musique en ligne. Sur le premier rapport de ce genre, réalisé sous l’égide de la Hadopi, nous avions demandé à ce que l’étude sur le partage de la valeur se fasse sur l’ensemble de la chaîne, ce qui nous avait déjà été refusé : seuls les producteurs et éditeurs de services de musique en ligne étaient concernés. Aujourd’hui, et malgré nos demandes auprès de la DGMIC, cette étude ne prendra en compte que la relation entre producteurs et artistes, et pas celle des éditeurs de services de musique en ligne. Il manquera deux parties essentielles : les édition-auteurs et les services de musique en ligne. Je comprends les priorités du ministère de la Culture, mais trouve en même temps dommage que l’on ne s’intéresse pas à l’ensemble de la chaîne de valeur.

L’observatoire de l’économie de la musique est inscrit dans l’engagement n° 2 du protocole d’accord, lequel a pour objectif d’« établir une plus grande transparence de l’économie de la filière musicale ». C’est également dans cet engagement que figure l’étude du partage de la valeur, dont vous parlez et à laquelle le protocole invite les parties prenantes à « collaborer activement ». Un an après la signature de ce protocole, cette étude n’est toujours pas lancée. Pourquoi tant de difficultés ?

G. L. : Cette étude est nécessaire, après des années de bataille de communication sur les chiffres. Il y a un besoin d’objectivation auquel nous souscrivons totalement. Mais dès le début, nous avons constaté un manque de concertation sur le cahier des charges de cette étude. Il y a eu des débats assez vifs sur le périmètre : certains voulaient une étude macroéconomique, d’autres au contraire une étude microéconomique. Nous nous sommes retrouvés sur un projet qui pourrait se situer à mi-chemin entre les deux. Mais le point bloquant pour les producteurs, c’est le manque de sécurité et de garantie de confidentialité concernant les contrats d’artiste qui doivent être mis à disposition du cabinet mandaté par la DGMIC pour réaliser cette étude, Bearing Point. Nous estimions ne pas avoir suffisamment de garanties. Or, ce point est arrivé assez tard dans la discussion, car ni la DGMIC ni Bearing Point n’avaient alors de réponse à apporter à nos questions, sur la confidentialité des données issues des contrats d’artistes.

L. P. : Cette problématique ne nous concerne pas. Néanmoins, Bearing Point n’est-il pas un cabinet professionnel, habilité à réaliser de telles études dans le cadre du secret professionnel ou sous clauses de confidentialité ?

G. L. : Nous avons fait légitimement valoir le fait que le prestataire retenu, Bearing Point, n’était pas commissaire aux comptes et n’offrait donc pas les garanties nécessaires en matière de confidentialité des données. Voilà pourquoi nous avons travaillé à un certain nombre de dispositifs sur, notamment, la manière dont les contrats peuvent être transmis, via une data room par exemple. Ludovic connaît suffisamment le métier pour savoir que l’on parle de données sensibles, et que l’on ne peut pas mettre à disposition des contrats sans demander de garanties minimum quant à la confidentialité des informations qu’ils contiennent.

L. P. : Il existe des moyens simples, comme faire appel à un cabinet d’avocat pour transmettre les contrats.

G. L. : Nous avions proposé cette option, qui a été refusée par les artistes : ils ne voulaient pas que les avocats des producteurs puissent faire l’intermédiaire entre le cabinet et la maison de disques. Nous avons alors suggéré de faire appel à un huissier.

Maintenant, ne nous y trompons pas : on a souvent entendu dire que si cette étude peinait à se mettre en place, c’était de la faute aux producteurs. Je constate simplement que ceux qui ont émis des propositions alternatives pour essayer d’avancer au moment où des points de blocages apparaissaient, ce sont les producteurs, et notamment ceux du SNEP. D’autres, autour de la table, se contentaient d’écouter sagement tout en préparant leur « riposte ». L’Adami, par exemple, qui n’est pas signataire de l’accord et qui siège pourtant au groupe de travail tout en préparant de son côté sa propre étude.

S. C. : Il s’agit d’une étude sur les artistes-producteurs, ce qui n’est qu’une partie du périmètre et donc pas tout à fait la même chose.

G. L. : Oui, mais cela me semble pour le moins surprenant qu’ils assistent à nos réunions et qu’ils réalisent leur propre étude de leur côté pour, le moment venu, pouvoir comparer les deux et en tirer tout le profit escompté en termes de communication.

S. C. : De nombreuses études sur le partage de la valeur ont été réalisées, mais avec des méthodologies différentes. Celle de « l’accord Schwartz » doit se faire selon une méthodologie partagée. L’Adami participe à ce groupe de travail car, tout comme le SNEP et l’UPFI, elle a travaillé sur une étude sur le partage de la valeur. On a donc considéré que sa présence autour de la table relevait de l’intérêt de la filière. L’idée pragmatique est qu’artistes et producteurs coopèrent sur la même étude afin de pouvoir en partager les mêmes conclusions.

Les garanties de confidentialité demandées par le SNEP me semblent légitimes. La DGMIC en est consciente depuis le départ et mon souci porte aujourd’hui sur son inaction ou, à tout le moins, sur son incapacité à trouver une solution ou à trancher, pour être garant de l’intérêt général dans ce processus. Depuis le 15/05/2016, nous n’avons pas de nouvelles de cette étude. Tout du moins, la GAM n’est au courant d’aucune tractation ni décision qui pourrait être prise en marge de notre groupe de travail. Et j’ai peur que nous retrouvions in fine au pied du mur.

Sur le fond, j’ajouterais que nous, artistes, avons fait beaucoup de compromis pour que cette étude puisse avancer et surtout démarrer. L’étude devait porter sur le partage de la valeur, elle portera finalement sur le partage des rémunérations, ce qui n’est pas pareil. Parmi les points essentiels à nos yeux, on a exclu du périmètre de l’étude le back catalogue, ce qui veut dire qu’une majeure partie des recettes des majors ne sera pas incluse dans l’étude. En revanche, on devrait y inclure les frais de fonctionnement des maisons de disques, comme les loyers, ce qui ne nous importe pas du tout ! Donc cette étude portera sur la rentabilité des projets plus que sur le partage de la valeur.

Mon constat, c’est que le ministère ne fait pas son travail et, un an après la signature de l’accord, il est scandaleux que l’on n’ait toujours pas avancé sur ce sujet. Je rappelle qu’initialement les conclusions de cette étude devaient être rendues au lendemain de la signature de l’accord…

G. L. : Ce qui n’était pas matériellement possible, puisque nous étions dans la dernière ligne droite des négociations de l’accord.
Ludovic Pouilly, comment jugez-vous le fait d’exclure le back catalogue, à l’heure où son exploitation est rendue plus facile avec l’avènement des services de streaming ?

L. P. : Le back catalogue a toujours été un axe stratégique pour les maisons de disques, et particulièrement pour les majors, qui sont les plus richement dotées à ce niveau. Ce que l’on peut simplement dire, c’est que les contrats back catalogue sont forcément les plus défavorables aux artistes, pour ce qui est du numérique, parce qu’ils sont plus anciens et ne doivent donc pas ou peu tenir compte du streaming alors que cet usage est devenu prépondérant.

S. C. : Et l’on sait à quel point il est difficile de renégocier un contrat.

L. P. : C’est donc un peu dommage de l’avoir exclu, car le back catalogue participe de l’économie globale du streaming.
Cette étude doit servir de base à la négociation sur la garantie de rémunération minimale prévue pour les artistes sur les exploitations digitales de leur catalogue, figurant dans l’engagement n° 5. Cela entraînera-t-il du retard dans les négociations, qui ont déjà commencé ?

G. L. : Si cette étude doit servir de base de référence, elle ne doit pas empêcher les discussions sur la garantie de rémunération minimale d’avancer. Car nous avons une date butoir : le 08/07/2017, soit un an après la promulgation de la loi LCAP. Et cela arrivera vite. Mais ayons aussi en tête que les discussions dans le cadre de la convention collective n’ont officiellement été rouvertes qu’en mai dernier. Nous avons de nombreuses réunions sur différents sujets. La rémunération minimale a été abordée dans les grandes lignes au début et nous sommes entrés dans le concret en septembre dernier. Une nouvelle réunion est prévue début novembre sur le sujet. Des propositions ont été formulées et cela doit donner lieu à une négociation. À ce sujet, les seuls qui sont arrivés avec un document, certes pas finalisé, ce sont les producteurs.

L. P. : Nous sommes d’accord : on touche là à l’un des points essentiels de « l’accord Schwartz ». N’estimez-vous pas que cela n’avance pas assez vite ?

G. L. : Les discussions ayant débuté sous l’égide de la convention collective en mai dernier, non. Qui plus est, les sujets traités depuis la réouverture de la convention collective sont très nombreux. Mais nous sommes d’accord, la rémunération minimale et le fonds pour l’emploi sont les sujets principaux de cette négociation. Les calendriers sont parallèles et tout aussi serrés. Comme je le disais, nous avons déjà formulé quelques propositions, qui restent à affiner.
Sans entrer dans les détails de votre négociation, est-il possible de trouver un consensus sachant que les producteurs semblent déjà divisés en leur sein, le SNEP étant partisan d’une avance minimale là où l’UPFI est favorable à un taux minimum ?

G. L. : C’est un débat que nous avons en ce moment entre producteurs, nous réfléchissons à différentes alternatives. Nous sommes davantage favorables à l’avance minimale, car c’est une somme qui est garantie aux artistes, surtout à ceux qui font partie de la « classe moyenne » des artistes. Le taux minimum, peut-être symboliquement plus fort, ne leur profitera pas autant.

S. C. : De notre côté, nous sommes défavorables à une avance. Nous l’avons toujours dit. C’est Pascal Nègre qui a insisté pour que le mot figure dans le texte final. Mais nous étions favorables à un taux minimum. Bien sûr, 100 % de 0 €, c’est, dit comme cela, très peu bénéfique pour un artiste. Mais au moins, la somme que tire l’artiste de ce taux minimum est représentative du succès ou de l’échec du projet. Le problème de l’avance, c’est que beaucoup de labels n’auront pas les moyens de la financer. Mais nous reconnaissons que, dans nos discussions actuelles, le SNEP fait actuellement un pas dans notre sens. Il reste maintenant du chemin à parcourir.

L. P. : Ce qui me semble dommage, c’est que vous négociiez cela sans avoir sous les yeux l’étude sur le partage de la valeur.

G. L. : D’où l’intérêt que l’on avance dessus pour que, au moment des négociations, fin 2016/début 2017, nous puissions disposer des résultats de l’étude permettant de trancher dans le débat qui nous anime. Et cette étude, je le répète, ne doit pas non plus être le centre de gravité de la négociation, mais un simple baromètre.
L’engagement n° 3 consiste en « l’amélioration de l’exposition de la musique et de la diversité culturelle ». Il enjoint les plateformes à « assurer une exposition significative des œuvres d’expression française et la mise en valeur de la diversité des catalogues ». Concrètement, comment se traduit cet engagement chez les plateformes comme Deezer, et plus largement celle de l’ESML ?

L. P. : À l’occasion d’un rendez-vous à la DGMIC, nous avons rendu compte du respect de cet engagement par les services de musique en ligne. Nous avons cherché à définir les critères objectifs permettant d’assurer l’« exposition significative des œuvres d’expression originale fran­çaise et la mise en valeur de la diversité des catalogues musicaux », tel que requis dans l’accord. Cette tâche est complexe, étant donné la variété des services composant les membres de l’ESML, et la qualité des données mises à leur disposition, très hétérogène. Nous avons réalisé un focus sur les services de streaming, et avons dégagé trois constats :

Il n’y a pas de corrélation entre un succès commercial, investissements marketing et mise en avant sur un service de musique en ligne ;
L’éditorialisation des contenus est la garante de la qualité des services de musique en ligne ;
Cette éditorialisation est le fruit d’investissements considérables de la part des éditeurs de services de musique en ligne, tant dans l’accès aux datas que le développement technique et les ressources humaines. Chez Deezer, par exemple, nous avons une soixantaine de responsables éditoriaux dans le monde. Nous avons besoin d’une data de qualité, dans la mesure où celle qui nous est fournie pas les labels n’est pas toujours homogène. Nous travaillons pour cela avec des tierces parties pour améliorer cette qualité. Cela représente un coût important.

Sur la diversité des catalogues et des œuvres, on peut constater que les services de musique en ligne en sont les principaux pourvoyeurs, avec des catalogues qui peuvent atteindre les 40 millions de titres. Concernant l’exposition significative des œuvres d’expression francophone, nous avons recensé 2 700 artistes exposés significativement, par le biais de biographies, photographies ou autres. Sachant que deux tiers de ces artistes ne figurent pas dans le top édité par le SNEP au cours des trois dernières années. Cela veut dire que nos plateformes n’exposent pas uniquement les artistes qui fonctionnent.

On note également que 50 % des mises en avant traditionnelles, qui correspondent à des outils d’exposition type newsletters, sont consacrées à des œuvres d’artistes d’expression francophone. La proportion est la même lorsqu’il s’agit des productions et promotions événementielles organisées par les services, comme les « Deezer Session » chez nous, où, par ailleurs, la part des nouveaux talents atteint même 75 %.

Sur les services de streaming, 80 % des streams se concentrent sur plusieurs centaines de milliers de titres, un ratio quasi inverse à celui des radios, où 80 % des diffusions sont concentrées sur une vingtaine de titres. Enfin, à 45 %, la part de marché des catalogues indépendants sur les services de musique en ligne est supérieure à leur part de marché globale, qui est d’environ 35 %. Cette diversité d’exposition, sur les plateformes, existe de facto. Et je crois que tout le monde dans la filière en a bien conscience.

G. L. : Tout à fait, c’est d’ailleurs bien pour cela que certains ont tenté de lancer une polémique sur la régulation des plateformes, lorsqu’on abordait la question des quotas radio, et que ce débat n’a pas du tout pris. Parce que la diversité sur les plateformes est déjà effective.
Revenons sur l’objectif n° 4, évoqué plus haut, relatif à la « promotion de bonnes pratiques contractuelles par un code des usages ». Les tensions, très vives à l’époque de la « mission Hoog », ont-elles disparu aujourd’hui quand il est question de code des usages ?

L. P. : Une fois encore, nous voulions aller plus loin, notamment pour favoriser l’émergence des jeunes plateformes. Il faut pouvoir encourager les start-ups qui se créent aujourd’hui, car ce sont les Deezer et Spotify de demain. Il faut favoriser la croissance de structures locales, si on veut éviter un paysage uniformisé dans lequel ne subsisteraient que YouTube et autres membres des GAFA.

Sur le reste, j’ai déjà eu l’occasion de dire qu’après la non reconduction des 13 engagements on a vu réapparaitre des anomalies de marché, liées aux avances, minima garantis, parts de marché pré-déterminées ou encore parts de voix. Je rappelle par ailleurs que les conditions générales de ventes sont loin d’être publiées par l’ensemble des labels. Les 13 engagements permettaient de corriger des anomalies, et non de réguler la relation producteurs-éditeurs de services de musique en ligne. Mais « l’accord Schwartz » constituait un prélude à l’élaboration d’un code des usages, qui figure dans les missions du médiateur de la musique.

G. L. : Le code des usages sera un élément important dans nos négociations. Nous aurons donc un médiateur, qui sera prochainement nommé. Mais peut-être pourrons-nous avancer en bilatéral avec les plateformes, en amont des négociations, pour parvenir à nous rapprocher.

L. P. : Je suis ravi d’entendre Guillaume dire cela. Au terme des deux ans d’application des 13 engagements pour la musique en ligne, nous vous avions sollicité pour vous mettre autour de la table afin de les renouveler. Si le SNEP avait fait preuve de maturité, à l’époque, il aurait accepté notre invitation et nous aurions pu discuter. Or, pendant trois ans, nous avons bataillé en vain juste pour réunir tout le monde et remettre à plat ces engagements. Il a fallu attendre trois ans, les problèmes avec les artistes et les questions sur le manque de transparence pour que l’on en rediscute. Je trouve cela dommage. Certes, « l’accord Schwartz » est une bonne chose pour la filière, mais il faut une menace de gestion collective pour en arriver là. On a perdu du temps. Et c’est du temps perdu aussi pour les petits éditeurs de services de musique en ligne… Ayez bien conscience que les investisseurs désertent le secteur !

G. L. : Cette diversité des plateformes, selon moi, existe : il existe 400 plateformes de streaming dans le monde ! Nous sommes sur un marché en construction.

L. P. : Mais la plateforme de demain n’existe pas encore ; faisons en sorte qu’elle soit française et qu’elle expose correctement le catalogue d’expression francophone. Aujourd’hui, monter un business plan viable, même sur le long terme, c’est extrêmement compliqué pour un éditeur de service de musique en ligne. Voilà pourquoi les investisseurs quittent le secteur musical. Et aussi pourquoi certains éditeurs de services de musique en ligne disparaissent.
Pour l’ESML, le principal obstacle vient des conditions exigées par les maisons de disques pour délivrer l’accès des services de musique en ligne aux catalogues ?

L. P. : En tout cas, nous nous rendons compte, parmi nos membres, que la situation est moins compliquée pour les éditeurs de services de musique en ligne qui n’ont pas besoin d’une licence pour exploiter du catalogue. C’est un vrai frein financier et une barrière énorme en termes de ressources humaines, car il faut pouvoir aller négocier des accords avec l’ensemble des ayants-droit. Et c’est pour cela que de nombreux éditeurs de service de musique en ligne, qui opéraient en BtoC, se sont réorientés vers un modèle BtoB, car ce n’était pas gérable pour elles. C’est dommage.

G. L. : Cela n’empêche pas certains acteurs, plus ou moins établis, de se lancer sur le secteur de la musique en ligne en ayant conscience de ces paramètres. On voit ces jours-ci Cdiscount se lancer dans l’aventure du streaming. Ce n’est pas un frein absolu, et heureusement d’ailleurs.

L. P. : Cdiscount, tout comme Amazon, Apple et d’autres, n’ont pas la musique pour cœur de métier.

G. L. : Tout à fait d’accord. Mais est-ce un argument pour les consommateurs ou même pour les artistes ? Est-ce un tort d’avoir une partie de ces plateformes dont le business model n’est pas assis sur la musique en ligne ?

L. P. : Non, je dis juste qu’il n’y a pas suffisamment de services. Et que l’industrie du disque pourrait faciliter tout cela, par le biais d’une licence blanche par exemple. Sur le long terme, ce type de mécanisme va dans l’intérêt des éditeurs de service de musique en ligne comme des maisons de disques.
Sur le médiateur, dont la création est consacrée par la loi LCAP, la position du SNEP a-t-elle évoluée ?

G. L. : Nous avons fait savoir dès le début que la création de ce médiateur ne se justifiait pas. Maintenant, ce médiateur va exister, c’est un fait. Nous verrons bien… Et puis, il pourra peut-être être utile aux producteurs de musique, qui sait ? Nous espérons juste qu’il ne se transformera pas en cheval de Troie de certaines SPRD qui voudraient « refaire le match ».
D’autres points du protocole d’accord vous semblent-ils essentiels ?

G. L. : Le fonds d’aide à l’emploi des artistes me semble une très bonne concrétisation de l’accord Schwartz. L’idée de ce fonds est d’aider d’abord et avant tout les TPE du disque, qui ne parviennent pas à respecter les minima de la convention collective et qui ne sont donc pas éligibles aux différentes aides auxquelles peuvent prétendre d’autres labels. Ce fonds devrait être hébergé par le CNV, qui en assurerait la mise en œuvre et l’instruction des dossiers.

Plus globalement, je voudrais dire que nous sommes sur un protocole d’accord qui court sur trois ans. Nous célébrons le premier anniversaire, mais nous ne sommes pas à la fin du parcours. Et puis à côté de cela, on a la loi LCAP, qui prévoit des mesures pour réguler les relations artistes-producteurs et artistes-plateformes. Il faut en tenir compte et ne pas apprécier la situation uniquement sous le prisme de « l’accord Schwartz ».

S. C. : J’aimerais revenir sur les equity. Nous avons tous entendu les déclarations d’intention de la part de Sony et Warner, mais toujours rien de la part d’Universal. Deuxième point qui nous semblait important dans ce protocole d’accord : la notion d’« intérêt commun des parties ». C’est une notion que nous avons essayé d’imposer dans la loi LCAP, mais cela n’a pas été possible pour d’obscures raisons politiciennes.

Ce qui m’amène à mon dernier point : le Gouvernement, dont le bilan pour les artistes pourrait, si rien ne change d’ici l’échéance de 2017, se révéler catastrophique. Nous n’avons pas avancé d’un pouce sur les points essentiels de « l’accord Schwartz » : la rémunération des artistes et la transparence des revenus à l’ère du numérique. On est à deux doigts de faire capoter l’effort d’unification d’une filière, parce que le ministère est incapable de trancher sur des sujets, d’être réactif et de faire avancer les choses. Tout nous porte à penser que les artistes ne sont, à date, pas dans les priorités de la ministre ni même dans ses objectifs. Il reste quelques mois avant la fin du quinquennat, peut-être les choses peuvent-elles évoluer pour les artistes.

Certes, la filière est unie sur des objectifs comme l’export, la diversité en radio ou le transfert de valeur, mais on nous met sans cesse des bâtons dans les roues et nos demandes, celles des artistes, sur la rémunération des artistes et la transparence sur les exploitations numériques de nos œuvres, ne sont pas entendues.

Enfin, je tiens à rappeler l’importance que revêt la création d’un médiateur de la musique. C’est une disposition de la loi LCAP qui compte beaucoup pour les artistes comme pour les éditeurs de service de musique ne ligne. Ce médiateur aura pour rôle de faire respecter les engagements de « l’accord Schwartz » mais pourra aussi aider à la rédaction d’un code des usages entre artistes, éditeurs de musique en ligne et producteurs. Nous regrettons cependant que celui-ci ne dispose pas de davantage de pouvoirs de sanction. En cas d’échec de la médiation notamment, aucun recours n’est prévu dans le texte de loi. Mais c’est une première étape positive, qui va dans le sens du dialogue entre les acteurs de la filière musicale.

G. L. : Comment la GAM peut-elle ne pas être satisfaite sur la rémunération minimale alors que nous sommes en négociation sur le sujet ? Quant à la « transparence », encore une fois, les producteurs n’ont pas attendu l’accord Schwartz pour mettre en place des relevés de royautés très précis, souvent même conséquents.

L. P. : Ce n’est pas parce que ces relevés sont épais qu’ils sont compréhensibles.

G. L. : Mais c’est tout l’enjeu de notre groupe de travail : entre les artistes qui veulent disposer des toutes les infos et ceux qui trouvent les relevés trop exhaustifs, il faut pouvoir trouver un juste milieu, qui permette de donner les informations essentielles.

S. C. : Nous savons quelles informations essentielles doivent y figurer, et sur ce sujet, vous n’accédez pas à nos demandes. Il est écrit noir sur blanc dans l’accord Schwartz que les relevés de royautés doivent prévoir « un récapitulatif global des abattements exposant de manière explicite leur effet cumulé sur le revenu de l’artiste, en valeur et/ou en taux ».

G. L. : À ce sujet, la GAM est arrivée avec un document type qui n’était envisageable que dans un monde idéal. Suzanne l’a elle-même reconnu. Vous vous êtes basés sur un modèle à la Believe.

L. P. : C’est une très bonne idée de prendre Believe comme référent, une société qui a toujours fait le pari de la transparence et du digital !

G. L. : Ludovic, qui a travaillé en maison de disques, ne peut pas dire qu’il n’y a pas de progrès à ce niveau en maisons de disques.

L. P. : Je n’y travaille plus, je ne sais pas ce qu’elles produisent comme relevés de royautés aujourd’hui. Je sais simplement ce que nous leur livrons comme datas, tous les jours. Et c’est vrai que certains agrégateurs comme Believe ou Idol ont fait le pari de la transparence et de rendre les choses intelligibles pour leurs artistes ou labels partenaires. Sans vouloir envenimer le débat, mon constat est simplement de dire que si l’on veut améliorer la transparence, on le peut, et que certains y parviennent très bien. Ils ont même basé leur business dessus. Mais ce n’est que mon avis.

L’élection présidentielle peut-elle stopper l’élan de certains projets actuellement prévus dans l’accord ?

S. C. : Il est clair qu’une élection de 2017 et un potentiel changement de majorité peut être dévastateur, dans ce cadre. Nous l’avons constaté il y a cinq ans avec le CNM. Cela peut avoir des conséquences sur l’Observatoire de l’économie de la musique. Tout cela est très fragile. L’élection présidentielle entraînera peut-être l’accélération de certains engagements, la décélération ou même la disparition d’autres, car ils vont à l’encontre des intérêts de certains.

Retour en haut